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7 février 2006

Que faut-il lire pour réussir ?

Voici quelques extraits de mon étude critique sur le phénomène des bestsellers du Développment Personnel. Ce travail fut réalisé en 1999 dans le cadre du département information/désinformation de l'Institut Français de Presse de Paris.

Développement personnel : l'idéologie de la réussite

l_zom_viennent_de_v_nus3« Si l’on examine la liste des best-sellers publiés par le New-York Times, on note que la plupart des livres qui sont en tête de liste donnent des modèles à suivre pour se perfectionner dans des domaines particuliers... Vous pouvez enseigner à un chien des modèles qui amélioreront son comportement. Vous pouvez faire la même chose avec des êtres humains. » Anthony Robbins,  UP p45.

Après s’être imposés aux Etats-Unis et au Canada, les best-sellers du Développement Personnel débarquent en France au début des années 80. Véritables petits manuels d’entraînement à la vie, ils sont aujourd’hui très en vogue dans les librairies et les rayons livres des supermarchés, faisant la fortune de leurs auteurs.

Précisons d’emblée qu’un manuel de D.P. n’est pas un livre ordinaire : il est d’abord conçu pour séduire et fasciner, faisant l’apologie des techniques de communication et de méditation les plus performantes. En détournant le plus souvent le thème socratique du Connais-toi toi-même, ce type de livre incite plutôt l’être humain à évoluer et à changer concrètement ses modes de comportements, qu’il s’agisse du couple, des enfants, des amis, du travail, etc. Il se présente donc comme une sorte d’ « objet transitionnel pour adulte », tout comme l’ours en peluche peut l’être pour l’enfant, jouant finalement un rôle de soutien psychologique, de guide pour affronter les épreuves du quotidien. «Votre désir de vous épanouir est la main invisible qui vous a guidé vers ce livre. »,  déclare ainsi la référence mondiale en littérature de D.P[1] Anthony Robbins, qui félicite même son lecteur pour son choix et pour sa volonté : « Vous avez pris une initiative. Vous avez acheté ce livre, mais en plus, vous faites en ce moment même une chose malheureusement exceptionnelle, vous le lisez ! En effet, les statistiques révèlent que moins de 10 pour cent des gens qui achètent un livre vont au-delà du premier chapitre. » La réussite est donc là, à portée de mains, et elle se vend bien. Conscients d’avoir trouvé un véritable filon,  FNAC, Virgin et autres librairies spécialisées lui consacrent un espace toujours plus conséquent, tout près des ouvrages de psychologie et de philosophie, afin d’écouler ces succès populaires qui semblent n’attendre qu’une chose : que nous soyons enfin prêts à changer le cours de notre destin !

Les chiffres parlent d’eux-mêmes

260 000 exemplaires vendus par le « psychiatre mystique » Scott Peck, avec Le Chemin le moins fréquenté, publié aux Editions J’ai lu en Octobre 1992. Plus de 500 000 ventes, uniquement sur le marché français pour l’incroyable succès de John Gray avec Les hommes viennent de Mars, les femmes viennent de Vénus, publié chez  J’ai lu, début 1998.

Le livre de Napoléon Hill, Réfléchissez et devenez riche, publié aux éditions De l’homme, annonce franchement la couleur en associant sans complexe quantité et qualité : « Plus de 10 000 000 de lecteurs ont fait de ce livre l’un des plus grands succès de librairie. Cet ouvrage passionnant prouve à chaque lecteur qu’il a en lui d’infinies possibilités dont il lui appartient de tirer parti. »

Chez J’ai Lu également, l’ouvrage de Richard Carlson, Ne vous noyez plus dans un verre d’eau, s’est vendu à plus de 10 millions d’exemplaires dans le monde . Enfin, James Redfield connaît une popularité grandissante grâce à  La Prophétie des Andes avec plus de 100 millions de lecteurs dans le monde. Publié en France chez J’ai lu dans la collection Aventure secrète en mars 1996, il dépasse les 700 000 ventes avec les cinq ouvrages de sa série.

La petite histoire des best-sellers du D.P

Au début de la seconde moitié du XXème siècle apparaît donc une nouvelle forme de livre, sorte de cocktail mêlant le roman, l’essai philosophique, l’ouvrage de vulgarisation et le récit autobiographique. Directement liée à l’évolution culturelle des sociétés dites développées, cette singulière littérature exhorte à la réussite personnelle et redéfinit la place de l’individu au sein des démocraties modernes.

Ce phénomène éditorial s’apparente de toute évidence aux « transformations du paysage imaginaire français » qu’analyse le sociologue français Alain Ehrenberg [2]lorsqu’il tente de mettre à jour les nouvelles mythologies (celles notamment du culte de la performance ou de la mise en scène de soi) qui remodèlent les représentations que l’homme moderne se fait de lui-même. En effet la « personnalisation » de l’individu est peu à peu devenue le problème essentiel de nos sociétés puisqu’une personne qui se transforme est susceptible d’exercer une influence accrue sur la vie politico-économico-sociale et même éthique et esthétique comme le souligne Jean Lacroix dans son livre Le personnalisme. C’est bien cette personne magnifiée par le travail sur soi que célèbre le D.P (qui refuse de voir disparaître le mythe du sujet en devenir) tandis que la littérature, la philosophie et la psychologie ne s’autorisent pas à orienter le lecteur sur une voie de réalisation particulière. En effet si le langage philosophique tente de conceptualiser le réel et si le langage psychologique essaie de qualifier l’inscription du sujet dans la réalité, le langage de la réussite cherche quant à lui à initier son « client-lecteur» au succès sous toutes ses formes. C’est ainsi qu’une constellation très hétéroclite de méthodes visant au développement du potentiel humain, à l’amélioration de la communication avec autrui et à l’auto-formation a pu se former dès les années 60. On assista alors à un déferlement de méthodes : Analyse Transactionnelle, méthodes de projets, gestion des objectifs, gestion mentale, dynamique de groupes, méthode de travail personnel, gestion du temps, relaxation, maîtrise du stress, training mental, coaching, Programmation NeuroLinguistique, etc. Autant de solutions proposées qui se diffuseront progressivement dans les entreprises, les centres de formation ou d’insertion, l’école etc. par l’intermédiaire de stages, magazines, livres et brochures. Un langage de la réussite qui caractérise le Développement Personnel (que l’on désigne également par des expressions comme « épanouissement personnel », « affirmation de soi », « pensée positive », etc) et qui met en œuvre certaines techniques communicationnelles que nous observerons à travers l’étude de son support le plus populaire et le plus accessible: Le Livre. Pour la première fois, notre étude se propose d’étudier cette nouvelle forme de langage : ses origines, ses principaux auteurs, ses mécanismes et ses effets sur le lecteur. 

Claude Boiocchi

Coach & Consultant

[1] Anthony Robbins, Puissance illimitée, Ed. J’ai Lu

[2] Alain Ehrenberg, Le culte de la performance, Hachette Littératures, 1999


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