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8 février 2006

Quand le Développement Personnel interprète Freud

freud

D'une manière générale, la façon dont Freud pense la situation du sujet dans la réalité déplait grandement aux spécialistes du développement personnel. Toutefois ces derniers n’hésitent pas à exploiter certains passages de ses écrits  en les décontextualisant, voire en les dénaturant, pour soutenir et valoriser les arguments propres à leurs méthodes.

La personnalité conflictuelle ou l'illusoire maîtrise de soi 

Il existe selon Freud un jeu de forces complexes au sein de l’esprit humain qui en contredit une vision simpliste, la personnalité se divisant en trois instances : le ça, le moi, le surmoi[1][1]. C’est dans ce jeu de forces au sein duquel le moi s’efforce de concilier les exigences contradictoires du ça (amoral) et du surmoi (hypermoral) que réside l’un des caractères révolutionnaires de la théorie psychanalytique : « Le moi n’est pas maître chez lui ». En effet, selon le père de la psychanalyse :

« Nous voyons le moi comme une pauvre créature, devant servir trois maîtres et subissant, par conséquent, la menace de trois dangers, de la part du monde extérieur, de la libido du ça, et de la sévérité du Surmoi » in Le moi et le ça, p271.

Ainsi, la théorie analytique révèle ce fait majeur, pilier du freudisme : la dépendance du moi, et sa faiblesse. Cette vision de l’homme interdit désormais de lui supposer possible la pleine maîtrise de son existence puisque des forces conflictuelles et inconscientes le déterminent à son insu.

PROGRES ET BONHEUR  

Confronté à cette tripartition du psychisme humain, que peut donc espérer l’homme ? Cette question est en fait problématique car Freud montre que le devenir de l’être humain dépend de sa capacité à renoncer à la satisfaction de ses pulsions. Il met donc à jour un antagonisme entre le développement de l’individu et son bonheur. Un bonheur qui consisterait à satisfaire des pulsions qui appartiennent à deux types opposés : les pulsions de vie (pulsions sexuelles et d’auto-conservation) et les pulsions de mort (pulsions d’agressivité). Mais leur satisfaction est-elle possible ? Freud répond par la négative :

« Tout l’ordre de l’univers s’y oppose ; on serait tenté de dire qu’il n’est point entré dans le plan de la « Création » que l’homme soit heureux. » in Malaise dans la civilisation, p20.

Il s’agit donc pour l’homme d’apprendre à maîtriser – plus ou moins bien – ses pulsions. Un progrès que Freud considère comme la conséquence du refoulement. C’est par conséquent l’existence d’un antagonisme entre l’individu et la société qui nous est dévoilé par cette théorie :

« Si la civilisation impose d’aussi lourds sacrifices, non seulement à la sexualité mais encore à l’agressivité, nous comprenons mieux qu’il soit si difficile à l’homme d’y trouver son bonheur. » in Malaise dans la civilisation, p69.

Ainsi, il n’existe nulle harmonie préétablie entre le bonheur de l’homme et celui de la société. En somme, la société en demande trop aux individus. En restreignant la vie sexuelle et l’agressivité pour accroître la sphère culturelle, la civilisation se heurte aux revendications de l’individu qui exige la satisfaction de ses pulsions. C’est par conséquent cette dernière qui est pathogène : l’homme devient névrosé parce qu’il ne peut supporter le renoncement exigé par la société au nom de son idéal culturel. Terrible perspective, qui nous interdit désormais de rêver d’une vie débarrassée de tout conflit : chez Freud, c’est l’ordre humain qui est conflictuel.

La nature de l’homme est-elle perfectible ? Pour qu’il puisse y avoir évolution de l’homme - véritable évolution -, il faudrait que sa structure psychique change, c’est-à-dire qu’elle ne soit plus conflictuelle. Mais cela ne peut être qu’un vain rêve, puisqu’elle est justement ce qui fait de lui un être humain. C’est donc la notion même de progrès qui pose problème. Car il est une illusion dont il faut se garder : celle qui voudrait que l’homme soit engagé sur le chemin ascendant qui le mène à sa perfection. Et cela, Freud ne peut que le déplorer :

« Je ne puis trouver le chemin qui permet de passer de la réalité de nos idéaux de perfection à leur réalisation concrète. » in Lettre à Putnam.

En tant que science de l’homme, la psychanalyse n’a donc rien de plus à dire sur la capacité à progresser :

« c’est trop demander à l’analyse que de vouloir qu’elle réalise les idéaux les plus chers de chacun. » in Lettre à Putnam.

L’homme ne peut donc jouir de ses idéaux, c’est-à-dire les concrétiser. Mais c’est en leurs noms qu’il peut régler son rapport au monde et à lui-même, et ainsi évoluer dans l’existence. 

LA TENTATION DE L’ANALYSTE

L’homme étant ce qu’il est, que peut donc la psychanalyse freudienne ?

« Dissoudre les symptômes, … remonter à leurs origines, réveiller le conflit qui leur a donné naissance et orienter ce conflit vers une autre solution » in Introduction à la psychanalyse, p431

Le but d’une analyse, on le voit, est modeste. Et c’est toujours en termes techniques que Freud définit ses objectifs : la réalisation de soi, chez lui, ne confine à aucun mysticisme ni à aucun optimisme. D’autant plus que l’analyste se doit de respecter la règle dite de neutralité :

« Nous avons catégoriquement refusé de considérer comme notre bien propre le patient qui requiert notre aide et se remet entre nos mains. Nous ne cherchons ni à former pour lui son destin, ni à inculquer nos idéaux, ni à le modeler à notre image avec l’orgueil d’un créateur. » Article Neutralité, in Vocabulaire de la psychanalyse de Laplanche et Pontalis.

Il existerait donc une tentation à laquelle l’analyste doit se garder de céder : celle de se prendre pour un sauveur d’âme, ou bien encore un guide. Et c’est pourquoi :

« L’analyste doit être neutre quant aux valeurs religieuses, morales et sociales, c’est-à-dire ne pas diriger la cure en fonction d’un idéal quelconque et s’abstenir de tout conseil ». idem

Nous verrons que les auteurs d’ouvrages sur le D.P ne reprennent jamais à leur compte cette règle fondamentale, même quand ils se disent psychanalystes. Contentons-nous pour l’heure de citer l’exemple de S. Peck qui déclare dans Le chemin le moins fréquenté :

« De toutes les règles de psychothérapies qui m’ont été enseignées, il y en a peu que je n’aie pas eu à briser, à un moment ou à un autre. » p177.

Des règles que Peck ne se cache pas de transgresser, comme il le précise aux pages 213 et 214 :

« Je soupçonne les thérapeutes jetant la pierre à leurs collègues qui ont des relations sexuelles avec un patient de n’être pas capables d’aimer véritablement leurs patients…Si j’avais une patiente dont, après réflexion approfondie, je pensais que des rapports sexuels entre nous aideraient considérablement à l’évolution spirituelle, je n’hésiterais pas. Je n’ai toutefois, en quinze années d’exercice, jamais rencontré un tel cas, et j’ai du mal à imaginer qu’il puisse en exister un. »

Etrange façon de procéder, qui consiste à affirmer une chose puis à la nier à l’intérieur d’une même phrase ! Mais il est vrai que l’Amour peut servir à tout justifier ; ce qu’il ne manque pas d’expliquer aux pages 210 puis 213 :

« L’ingrédient essentiel d’une psychothérapie profonde et réussie, c’est l’amour… Si un psychiatre ou un psychanalyste ne peut pas aimer véritablement son patient, la guérison profonde n’aura pas lieu… »

Ajoutons que c’est Freud en personne qui lui sert d’alibi :

« La tradition psychanalytique veut que le psychanalyste reste distant et détaché, tradition dont il semble qu’elle soit due aux disciples de Freud plutôt qu’à Freud lui-même. » p211.

Pourtant, dès 1931, Freud exprime sa méfiance à l’égard des « méthodes actives » (toucher les patients par exemple…), pratiquée par le psychiatre Hongrois Sandor Ferenczi : « Maintenant, représentez-vous les suites de votre technique si elle venait à se généraliser… Un certain nombre de personnes indépendantes en matière de technique vont se dire : « Pourquoi s’arrêter au baiser ? On obtiendrait mieux en recourant aux caresses, ce qui, après tout, ne produit pas non plus de bébés ». »

Certains comme Scott Peck n’hésiteront pas à emprunter cette voie. Pourtant cette neutralité de l’analyste, principe fondamental de toute cure analytique, lui interdit d’imposer à ses patients ses idéaux ou de prodiguer des conseils afin de vivre mieux, ce qui représente de fait un obstacle majeur pour les spécialistes du D.P. Décidément, la théorie freudienne ne partage pas les orientations optimistes de ces derniers.

L’EXCELLENCE DE L’HOMME

L’entendement freudien consiste à faire usage de son intelligence afin de ne pas confondre la réalité telle qu’elle est et telle qu’on voudrait qu’elle soit. Il s’agit donc d’user du Logos (l’inflexible raison) afin de démasquer l’illusion – qui voudrait consoler du mal et de la mort - au nom de l’Anankè (le destin nécessaire):

« Nous n’avons pas d’autres moyens de maîtriser nos instincts que notre intelligence. » in L’avenir d’une illusion, p68.

Est-ce ainsi que l’on peut considérer l’excellence de l’homme ? Dans cette volonté délibérée de ne pas vivre dans l’illusion consolatrice ? Etrange paradoxe en vérité : puisque s’élever, pour Freud, consiste à se regarder soi-même tel que l’on est, c’est-à-dire à descendre en soi. En définitive, le fondateur de la psychanalyse nous invite à supporter le poids de l’existence, ses peines, ses déceptions. C’est la lucidité face à l’existence que Freud valorise. Lucidité qui humilie :

« L’interprétation psychanalytique des rapports du moi conscient à l’inconscient tout-puissant constitue, pour l’amour propre, une sérieuse humiliation. » in Résultats, Idées, Problèmes, II, p133.

Cette humiliation, cette blessure infligée à notre narcissisme, et que l’homme se doit d’accepter sous peine de vivre dans l’illusion, pourrait être le mot de la fin de Freud sur la condition de possibilité de tout développement individuel :

« Supporter la vie reste bien le premier devoir de tous les vivants » in Essais de psychanalyse, p40.

En fait, dès les années 20, Freud est conscient de la déformation positiviste que certains médecins américains venus le consulter veulent imposer à sa méthode. Il dira d’eux : « La psychanalyse leur va comme une chemise blanche à un corbeau. » Car lui, « ne cherche pas à faire « réussir » ses patients en les adaptant à la réalité sociale ; il cherche à les guérir, c’est-à-dire à leur permettre de trouver leur vérité. Ce qui n’est pas toujours un gage de bonheur dans notre société, qui peut se révéler inadaptée à une personne se portant bien ! », comme le précise Jean-Claude Liaudet dans son livre La psychanalyse sans complexe. C’est pour ces raisons que la théorie freudienne fut vivement critiquée. Certains élaborèrent donc de nouveaux modèles concernant le psychisme humain et ces conceptions nourrirent les psychologies de la deuxième moitié du XXe siècle.

Leur objectif fut double, rompant ainsi avec l’héritage freudien :

- restaurer l’unité psychique

- affirmer la perspective finaliste, qui fait du bonheur le but ultime du développement de l’individu.

Extrait de "L'idéologie de la réussite", une étude réalisée en 1999 pour l'Institut français de Presse ( département "désinformation"). 

C.B

[2][1] Le ça constitue le pôle pulsionnel de l’individu et s’affronte au surmoi, représentant les interdits parentaux qui exigent de l’homme qu’il réfrène ses pulsions. Le moi, « qui représente ce qu’on peut nommer raison et bon sens », doit gérer ces intérêts contradictoires et prendre en compte la réalité extérieure.




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